Joël est
éleveur, il élève des Chapons.
Il en a une
centaine. Ils sont beaux, Ils sont bons !
Entre cents recevant
tout de manière égale,
Parfois un
se distingue, en bien ou bien en mal.
Hercule est de
ses pairs, un être différent.
Plus fin,
plus délicat, mais ce qu’il n’a en masse
Il l’a en
élégance, en flegme et en race.
Joël en est
très fier et Hercule fait le mâle !
Mais voilà
qu’en un jour, la bête tombe pâle.
Trois journées
sans manger et le voilà tout frêle.
Joël est
très inquiet. Il lui apporte des graines
de tournesol
tendre mais Hercule n’en veut pas.
Alors tout en pleurant, il lui parle tout bas :
- Mon ami, ma fierté, vas-tu donc nous quitter ?
- Mon ami, ma fierté, vas-tu donc nous quitter ?
Et à sa
grande surprise le chapon lui répond:
- Je n’ai
plus goût à rien, et plus de volonté.
- De grâce
l’animal, dis-moi ce qui, au fond,
te tracasse
vraiment, et je te consolerai.
- C’est que
je ne sais pas, pourquoi je suis « ici ».
- Et où
voudrais-tu être ? C’est « ici » ton logis.
- Mais d’où
vraiment je viens ? Et où vraiment je vais ?
Il n’y a pas plus grave qu’une volaille qui doute.
Et Joël
entreprend de lui dire son fait :
- De l’avenir je peux te dire qu’il sera laid,
- De l’avenir je peux te dire qu’il sera laid,
Un homme
t’emmènera à Noël sur cette route,
et des
bourgeois braillards dévoreront ta chair.
Mais il faut
bien mourir et tu gagnes en prestige :
Nourrir un
homme vaut mieux que de nourrir les vers.
Leurs joies
valent au centuple les statues qu’on érige.
Te voilà
rassuré ? Cesseras-tu ton angoisse ?
- Mais d’où
viens-je vraiment ? Pleurnicha le coquet.
- Tu viens
de cette ferme, c’est là que tu es né.
- Tu veux
dire de cette fange, de cette boue, de cette poisse ?
- Mais non !
Dans une couveuse, de haute technologie !
C’est elle
qui t’a chauffée, patiemment dans ta coque.
Jusqu'à ton
éclosion, où tout endoloris,
Tu fis
l’admiration des poules et des coqs.
Alors tu fus
chapon et tu t’enorgueillis.
Tu grossis,
tu dormis et nous sommes aujourd’hui.
- Alors
c’est cet engin qui m’a fait si parfait ?
C’est de
cette mécanique que réellement je viens ?
- Grand Dieu
que tu es bête ! Mais non tu viens d’un œuf !
Un œuf blanc
et ovale et dur comme tu marbre
Mais léger
et fragile comme le bourgeon de l’arbre
Comme la
fleur des champs, comme son pétale neuf.
- Ainsi je
viens d’un œuf, un œuf comme mille autres
Un œuf sans
intérêt, qu’on aurait pu manger
Et qui par
le hasard, s’est trouvé fécondé
Mais d’où
viens donc cet œuf ? Cet œuf et les mille autres ?
- Sotte entêtée
bestiole ! Tu n’en finiras pas !
L’œuf :
il vient d’une poule !
- Et qui est
cette poule ?
- Une poule
« Gallus Gallus Domesticus »
- Elle se
nomme Gallus ?
- Elle n’a
pas eu de nom, on ne leur on donne pas.
- Il n’y a
pas eu de coq ?
- Si ! Il y a eu un coq.
- Et qui donc
est ce coq ?
- Un coq de
race Gallus, Gallus Domesticus.
- Il se
nomme Gallus ?
- Il n’a pas
eu de nom, on ne leur en donne pas.
- Et
savent-il que j’existe ? Savent-il que je suis là ?
- Moi-même je
le sais, n’est-ce pas suffisant ?
Je me soucis
de toi comme l’un de mes enfants !
- Triste est
l’enfant qui nait sans avoir de repère,
Sans avoir
une histoire, fut-elle décevante.
Nulle tendresse
ne vainc l’angoisse persistante
Ce néant dont
on tire une vie solitaire.