mardi 29 janvier 2013

Les habits neufs de l’empereur

Avant-Propos à destination de la censure : Il s'agit ici d'une reprise d'un célèbre conte d'Andersen (1837). Si, pour une raison qui vous est propre, y voir une allusion à l'ordre du jour de l'assemblée nationale du 29 Janvier 2013 vous est insupportable, vous aurez loisir d'y voir plutôt une critique de la désindustrialisation. Ici, l'empereur n'est pas nécessairement celui qu'on croit, mais les saltimbanques, si. Enfin, comme de coutume, il y a lieu de préciser qu'il n'y a aucune incitation à la haine ou la discrimination dans cette histoire et que l'auteur ne cautionne absolument pas la brutalité des mœurs de cette époque sombre. 

Quand j’étais petit, on m’a raconté cette histoire. J’en ai, depuis, entendu une version un peu différente. C’est celle que je vais vous conter.

C’était  une époque où les hommes vivaient dans la saleté, l’ignorance et la violence, où les puissants s’amusaient à tyranniser les peuples et où les hommes de lettres n’avaient pas encore entrepris d’illuminer par leur sagacité  et leur verve, le triste passage des jours.

A cette époque vivait un empereur. Il était fort soucieux de sa personne mais éprouvait la plus grande difficulté à se trouver un habit qui put démontrer sa toute puissance. Pire, ses habits semblaient en constante rébellion contre lui-même. Tantôt son pantalon remontait trop quand il s’asseyait, révélant sa maigre cheville. Tantôt sa chemise le grattait dans le dos, le forçant, pour satisfaire l’irritation,  à de ridicules contorsions. Tantôt son sous-vêtement le contraignait à une démarche désavantageuse, tantôt sa cravate s’échappait sous sa veste, comme si elle eut honte de paraître à ses côtés. 

La première concubine, une femme élégante et raffinée, jugea qu’il était temps de remédier à cette grotesque situation et fit quérir de toute urgence les meilleurs artisans  de l’empire, afin qu’ils conçoivent pour l’empereur un habit plus utile.  

Aussitôt, se présenta au palais un défilé ininterrompu de marchands, de drapiers, de tailleurs, de modistes et de tisserands. Mais nul ne pût proposer un habit qui trouve grâce aux yeux de l’élégante. 

C’est alors que se présenta un groupe de saltimbanques qui se disaient capables de tisser les étoffes les plus fines, les plus agréables, les plus riches qu’on puisse trouver. On les écouta. L’empereur lui-même vint à leur rencontre.

Jugeant, en un regard, de la crédulité de l’empereur, ces saltimbanques la, qui étaient en fait, une bande de bandits malfaisants, lui proposèrent de tisser pour lui un tissu unique, digne de sa personne : un tissu magique, qui restait invisible à tous ceux qui sont sots ou incapables de remplir leurs fonctions. 

 « Fantastique » se dit l’empereur, qui ne put s’empêcher d’y voir une occasion de confondre les incapables et les sots de son entourage. 

« Votre sérénissime excellence fait un fort bon choix » lui répondirent les bandits malfaisants, « Ainsi votre pouvoir absolu sera sublimé ! »

Et la flatterie effaça ses derniers scrupules.

On apporta aux bandits une somme considérable de fil d’or, d’étoffe précieuse et de diamant afin qu’ils puissent confectionner le vêtement. On les sustenta de mets délicieux, de vins puissants et capiteux qui faisaient alors la renommée de l’empire. On les logea dans les chambres d’apparats, toutes couvertes de matériaux précieux et garnies de bibelots aussi rares que précieux.

Les bandits passèrent six mois dans le luxe et l’oisiveté. Ils s’enfermaient, toutefois, quelques heures par jour dans l’atelier, ordonnant qu’on y entre sous aucun prétexte. Alors, il faisait du bruit avec les métiers et les draps  afin de faire croire qu’ils travaillaient. Mais, jamais ils ne fabriquèrent le moindre vêtement. 

Vint le jour de l’essayage. L’empereur entra dans l’atelier avec ses ministres. Il y a avait parmi eux le garde des sceaux et la ministre déléguée au beau-sexe. 

L’empereur demanda ou se trouvait son nouvel habit. Les bandits répondirent :

« Mais, il est là, votre Illustrissime Splendeur ! il est là ! Sur la table de confection ! »

L’empereur fut pris de stupeur. Il ne voyait rien, strictement rien. « Suis-je sot ? » se dit l’empereur, « suis-je incapable de remplir mes fonctions ? ». Mais il contint sa panique et convint de ne rien laisser paraître. 

« Qu’on me l’enfile ! » ordonna-t-il. Et il se déshabilla. 

Alors les bandits mimèrent un essayage. 

« Voyez comme le tissu est léger » dit l’un des bandits. « Voyez comme l’étoffe est fine » reprit un autre.

Et l’empereur, qui avait repris ses esprits, paradait dans la salle afin qu’on admira à quelle point son nouvel habit manifestait l’importance de ses attributions. 

Mais personne ne voyait rien. 

« Suis-je sotte ? » se dit la ministre déléguée au beau-sexe.
« Suis-je incapable de remplir mes fonctions ? » se dit le garde des sceaux.  

Tous, terrorisés à l’idée de paraître sous leur plus mauvais jours, faisaient cependant mine de voir le vêtement.

« Quelle grâce, quelle magnificence ! » s’exclamaient les courtisans. Alors, l’empereur, emporté par l’effervescence de la cour, ordonna à son héraut d’annoncer que l’empereur allait, sur le champ, défiler dans la capitale, afin de faire découvrir à son peuple son nouvel habit. 

« Annoncez un jour de fête, une année de célébration, une décennie glorieuse, un siècle d’or »  dit l’empereur. 

Les bandits s’empressèrent de faire courir le bruit des propriétés spéciales du tissu. Et lorsque l’empereur paru, toute la foule l’acclama. On dressa des monuments, on illumina les chroniques de ce jour de liesse avec des feuilles de vignes, on décréta un nouveau jour férié. 

Tout le peuple voulait un habit pareil à celui de l’empereur. Alors les bandits établirent dans tout l’empire, et sur ordre de l’empereur, des manufactures impériales. Leur productivité était excellente, et, en un mois, tout le peuple fut habillé... ou déshabillé… comme vous voudrez. 

Les marchands d’habits, les drapiers, les tailleurs, les modistes, les tisserands, les confectionneurs de bouton, de fermeture éclair, de chaussure, tous firent faillites. On brûla leurs installations et  on les convertit de force à la nouvel mode. Ceux qui doutaient étaient mis en prison. 

L’histoire ne se termine pas très bien. En effet, quand l’hiver arriva, la moitié de l’empire mourut de froid et l’autre moitié fut atteinte de pneumonie. Il ne se passait pas un jour sans que, le peuple, en colère, ne défila sous les fenêtres de l’empereur. Afin de les calmer, l’empereur fit pendre les bandits malfaisants et par la même occasion, ordonna qu’on exécute tous les saltimbanques de l’empire. 

Finalement, l’empereur mourut et les artisans qui avaient été convaincus de « doute envers la couronne » furent libérés. Ils ne se moquèrent pas de l’infortune de leur pairs, ne cherchèrent pas à prendre leur revanche car, parmi les morts, se trouvaient leur mère, leur père, leurs sœurs, leurs frères ou leurs amis. 

On mit beaucoup de temps à rétablir la situation. Il fallut d'abord faire perdre à la foule le goût du sang, puis reconstruire patiemment toutes les manufactures,et enfin former à nouveau les artisans à un métier qu’on avait oublié. 

Aujourd’hui, nous avons bien de la chance car rien de ceci ne pourrait arriver !

C’était une époque où les hommes vivaient dans la saleté, l’ignorance et la violence, où les puissants s’amusaient à tyranniser les peuples et où les hommes de lettres n’avaient pas encore entrepris d’illuminer par leur sagacité  et leur verve, le triste passage des jours.

vendredi 25 janvier 2013

Le Journaleux, le Taiseux et les Niaiseux.



 Avant-Propos à destination de la censure : Ceci est une fable et non une parabole, une métaphore ou une comparaison.(Voir définition de "fable" sur Wikipedia). Inutile donc d'y rechercher des propos discriminatoires ou malveillants, sauf, peut-être, envers les sots qui vénèrent leur sottise. En guise de morale, vous aurez l'obligeance de vous satisfaire d'une chute, vous y souscrirez, c'est plus digeste que l'inverse. Enfin, vous ne comprendrez l'histoire que si vous découvrez ce qui se cache derrière "le Chien". Indice : ce n'est ni un individu, ni un groupe d'individu, ni un sentiment, ni un concept, ni une idée et c'est on ne peut plus républicain, au sens étymologique du terme, bien sur, et non au sens confiscatoire.  
  
C’est une histoire qui se passe dans une ferme. Une ferme avec une basse-cour, une porcherie, un clapier, une écurie et une petite mare aux poissons. Rien de bien extraordinaire si ce n’est l’organisation de la basse-cour. Le Fermier, on ne sait pas bien pourquoi, avait décidé de  confier aux volailles la gestion de la basse-cour. Le fermier leur avait appris à trouver leur nourriture, à s’apporter les soins vétérinaires, à se construire de solides abris et à se protéger du rusé renard. La basse-cour s’était organisée en conséquence et avait coutume de se choisir un chef, parmi les coqs les plus éloquents, pour diriger les opérations. On le nommait : le Coq-en-Chef.

Il y avait un Coq, qui se nommait François Coquelet. Non qu’il soit spécialement chétif, bien au contraire, mais parce qu’il y avait déjà eu un François Coq, un Coq-en-Chef particulièrement brillant par son habilité et son éloquence, sachant ménager la chèvre et le chou rouge comme personne. Coquelet, lui, s’était rendu maitre dans l’art d’ouvrir son aile gauche et son aile droite, si grande qu’il semblait pouvoir prendre toutes les poules sous son aile. Cela, ne le rendait pas pour autant capable de voler, quoiqu’on en dise, mais lui donnait l’ambition de vouloir prétendre au pouvoir suprême : devenir Coq-en-chef.

Il y avait aussi un Chien. Un vieux Chien qui semblait fatigué. On ne l’avait que rarement entendu aboyer et personne ne se souvenait qu’il ait pu un jour mordre. Quand elles ne lui étaient pas complètement indifférentes, les poules s’en moquaient volontiers. Elles ne se privaient pas de le calomnier, de se percher sur sa tête, de lui piquer le dos. On raconte même que certains coqs, en guise de rite initiatique, s’amusaient, le soir tombé, à faire sur lui leurs besoins. Mais jamais le Chien ne se fâchait. Il restait calme, et laissait s’échapper un soupir en souriant mollement, ce que la plupart des poules interprétaient comme un signe de plus de sa débilité. 

Il y avait aussi un Canard qui dirigeait depuis longtemps une entreprise de Cancanerie. Il avait un certain talent, principalement lié au fait qu’il avait la capacité de parler plus fort que les poules ne caquètent. Il en usait avec immodération, couvrant la basse-cour de ses coins-coins dissonants.  

Il se trouve que, cette année-là,  l’hiver avait été plus rude que les autres années, et les poules étaient particulièrement fatiguées. Il faut dire que le Coq-en-Chef, Coq-Cola, surnommé ainsi  en raison de son goût pour la fameuse boisson pétillante, les avait particulièrement épuisées avec son concept de « pondre plus pour avoir plus de grain ».

Quant au Canard, il en voulait très  fort à Coq-Cola de lui avoir dit un jour de se taire et avait juré qu’il prendrait sa revanche. 

Donc notre Coquelet, le plus normalement du monde, entra en campagne contre Coq-Cola, et trouva dans le Canard un allié de circonstance tout à fait remarquable. Il prit systématiquement le contre-pied du Coq-en-Chef, jura qu’il saurait se montrer généreux, promis que les poules pourraient pondre moins tout en ayant plus de grain, quitte à prélever directement la graisse sur les oies blanches si jamais le grain venait à manquer. Les poules l’écoutaient avec méfiance, mais, la fatigue aidant, se laissèrent convaincre petit à petit. Il faut dire que le Canard le soutenait par une opération de Cancanerie jusqu’à ce jour inégalée.

Coquelet sentait sa victoire proche, mais, pour rien au monde, il ne voulait qu’elle lui échappe. Ainsi, se mit-il à promettre, encore et toujours plus, à chacun des animaux, assurant qu’avec lui, ils ne manqueraient de rien, et que lui, au moins, avait réellement compris leurs besoins.

Or, dans la mare, il y  avait un petit groupe de poisson. Ces poissons, en tournant au fond de l’eau, regardaient avec une envie grandissante les poules et les coqs élever leurs poussins. Ils auraient bien voulu, eux aussi, avoir de jolis petits poussins tout doux. « Pas de problème » leur dit Coquelet, « si je suis élu vous aurez des poussins. Après tout, ce n’est que justice, pourquoi, des poissons, seulement parce qu’ils ne sont ni des poules ni des coqs n’auraient pas le droit, eux aussi, d’avoir des poussins ? »

Devant tant d’éloquence, la plupart des poules opinèrent de la tête  et le Canard se garda bien de leur dire que jamais  on avait  vu un poussin nager. Lorsque certaines volailles se posèrent la question, il leur fut répondu : « ce n’est pas parce que ça n’a jamais été fait que ça ne peut pas se faire » ou encore « avec des raisonnements comme ça nous aurions encore des dents, comme les dinosaures».

Coquelet fut élu et devint, comme il l’avait rêvé, le coq le plus puissant de la basse-cour. Coquelet devint Coq-en-Chef.

C’est alors que Coquelet en vint à devoir tenir ses promesses. Et ses administrés furent  bien malheureux quand ils s’aperçurent qu’il ne pouvait en tenir la moitié, ou même un tiers. Pour sauver les apparences, Coquelet décida tout de même d’en tenir une ou deux.

...Et il décida de donner des petits poussins tout doux aux gentils poissons de la mare. 

C’est alors qu’on entendit le Chien. 

D’abord un soupir, à peine plus fort que les autres, puis un petit râle, enfin un aboiement. Pas un gros. Juste un petit.

« Comment ? », se dit le nouveau Coq-en-Chef, « un chien qui aboie ! Mais c’est inconcevable ! Dans la basse-cour, les chiens n’aboient pas ! ou bien le soir, cachés, quand il n’y a plus personne ! »
Et on demanda au Canard de couvrir le son de sa voix. Ce qu’il fit fort bien. 

Mais le Chien continuait. Et de plus en plus fort !

 Alors on lui mit un bâillon et on demanda au Canard d’augmenter le volume. Ce qu’il fit fort bien.

 C’est que, la dernière fois que ce chien s’était fait entendre, Coquelet s’en souvenait ! A l’époque, François Coq était Coq-En-Chef et avait voulu faire une réforme pour supprimer l’élevage en plein air. « C’est que les poules », pensait-il, « devraient toutes être élevées en batterie, pour recevoir toutes exactement la même quantité de grain, d’air et de lumière ». Malheureusement pour lui, le vieux Chien avait aboyé à s’en décrocher la mâchoire et les poules apeurées avait dû le supplier de renoncer à son projet. Ce qu’il avait finalement fait, étant plus habile qu’audacieux. « Après tout, si certains veulent patauger dans la boue. » avait-il consenti. 

Mais pour Coquelet, ces  aboiements étaient insupportables. Ils raisonnaient dans sa tête, ne le laissaient jamais tranquille, le tourmentaient le jour, la nuit. Ils lui rappelaient la honte, la défaite, l’impuissance. 

Coquelet y mettrait tout son orgueil : Il ne laisserait pas le vieux Chien saboter une des seules promesses qu’il pensait encore pouvoir tenir. Il ne laisserait pas le vieux chien faire dire qu’il était moins bon coq que l’illustre François Coq. Et tout son complexe d’infériorité se cristallisait autour de cette affaire.  Il ferait mieux que François Coq. Il ferait taire le Chien. 

Mais le Chien n’était plus seul : d’abord, des oies l’avaient rejoint, puis des dindons, des cochons, des chevaux, des lapins, des vaches, des étourneaux et même des poissons de la rivière. Et tous donnaient de la voix et tous criaient comme un seul homme : « NOUS NE LAISSERONS PAS LES POUSSINS SE NOYER ! »

L’histoire ne raconte pas ce qui se passa ensuite. 

On rapporte toutefois que la Canard se cassa la voix à force de hurler et que, bien qu’il mourût à un âge avancé, il passa ses dernières années très seul et assez malheureux car personne n’avait voulu reprendre son entreprise de Cancanerie.

Les mauvaises langues disent qu’on croisa Coquelet, plus tard, discourant devant des cailloux afin qu’ils votent pour lui, leur promettant je ne sais trop quels avantages.

Quant au vieux Chien, et bien ! Il est toujours à la ferme !